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L'interprète grec
24 juillet 2013

Le spectre de Sherlock Holmes

Auteur : Douglas Kerr

Date : 16 juillet 2013

Source : Oxford University Press Blog (USA)

 

Le spectre de Sherlock Holmes est né (si c'est le bon mot) très tôt. Conan Doyle a fait tomber le détective par-dessus le bord des chutes de Reichenbach dans la prise du Professeur Moriarty dans Le problème final, publié dans le Strand Magazine en décembre 1893. En 1894, les spectateurs aux music-halls chantaient en choeur le refrain d'une chanson populaire, composée et chantée par H.C. Barry avec les paroles de Richard Morton :

« "Sherlock, Sherlock,"
crie le peuple vivement,
"C'est le spectre de Sherlock Holmes"
alors que je passe furtivement.
Les pécheurs tremblent et frissonnent
où qu'apparaisse ce fantôme,
Et on s'exclame, "Il nous a eus,
Le spectre de Sherlock Holmes." »

Sherlock Holmes s'est révélé l'un des plus résiliants de tous les personnages littéraires, et la carrière de son spectre fait preuve de la vie après la mort d'une façon qui réchaufferait le coeur à un spiritualiste tel son créateur. Pendant la période sombre qui a suivi Reichenbach, les admirateurs du détective ont eu pour relève le début, en 1899, de la pièce de William Gillette, Sherlock Holmes, où il a adapté du matériel tiré de plusieurs histoires dans le canon de Conan Doyle. Gillette a incarné Sherlock Holmes environ 1300 fois au cours de trois décennies, fournissant le personnage sur scène d'accessoires comme la casquette, maintenant caractéristique, la pipe et la loupe. Lorsque Gillette a demandé à Conan Doyle si Holmes pourrait se marier dans l'adaptation dramatique, l'auteur a répondu par télégramme : « Vous pouvez le marier, le tuer, faire de lui ce que vous voulez. » C'est une autorisation que ceux qui ont fait apparaitre plus tard le spectre du grand détective ont joyeusement acceptée.

Le plus important d'entre ceux-ci fut Conan Doyle lui-même, qui a fait revenir Holmes pour une aventure pre-Reichenbach dans Le Chien des Baskerville dans le Strand en 1901, puis a expliqué dans L'aventure de la maison vide qu'après tout, son héros n'était pas mort. Les aventures de Holmes, soixante en tout, ont continué jusqu'à 1927. En même temps, en un échange de l'ectoplasme contre le celluloïd, depuis Sherlock Holmes Baffled [Sherlock Holmes Stupéfait] en 1903 le grand détective s'était lancé dans une vie active comme spectre au cinéma. À noter parmi les versions cinématographiques de Holmes fut le splendide Basil Rathbone, qui a joué le rôle dans quatorze films de chez Hollywood entre 1939 et 1946, à l'aide de Nigel Bruce en un Watson franchement bouché. Dans les films de Rathbone, la question de ce que les critiques littéraires appellent la ré-accentuation devient un problème. D'abord, les films avec Rathbone en Holmes ont un cadre victorien qui nous est familier, avec les rues bloquées par le brouillard, la lumière du gaz et les cabs. Mais plus tard, Holmes, qui n'a miraculeusement pas vieilli, devient le contemporain de son public, continuant ses aventures dans une époque de voyages par avion, la chirurgie esthétique et les saboteurs Nazis. C'est un esprit d'anachronisme qui se manifeste toujours dans la série high-tech Sherlock, à la télé. Comme si le matériel à tirer du personnage original ne suffisait pas aux acteurs, parmi les Holmes postérieurs se trouvent un toxicomane paranoïde, un acteur enivré, un lycéen amoureux, un imbécile maladroit, un aventurier et une souris. 

En même temps, les lecteurs prenaient soin de la vie spectrale du détective en différentes façons, alors que Holmes inspirait beaucoup des détectives classiques des années 20 et 30. Le futur théologien et auteur de romans policiers Ronald Knox, pendant qu'il était toujours étudiant à Oxford, a écrit Études dans la Littérature de Sherlock Holmes qui est assez bien comme analyse proto-structuraliste ainsi qu'une parodie du criticisme académique de l'époque. Il a déclenché ce que Dorothy L. Sayers, également admiratrice de Conan Doyle et praticienne de polars, appelait « le jeu d'appliquer les méthodes du Haut Criticisme au canon de Sherlock Holmes ». On écrivait beaucoup à ce sujet au cours des années entre les deux guerres, souvent avec un sens de l'humour distinctement académique, et ce jeu s'empêtrait dans le jeu du même ordre où on faisait semblant de croire que John Watson avait écrit les histoires sur Holmes, et Arthur Conan Doyle n'était que son éditeur ou agent littéraire. Des adeptes se rassemblaient en antennes des Baker Street Irregulars, se donnant le nom d'un personnage des nouvelles, et débattant de questions controversées comme le lieu de la blessure de guerre de Watson, et l'école qu'avait fréquentée Sherlock Holmes. Il est difficile de s'imaginer qu'on puisse s'intéresser de façon similaire aux origines de Dorothea Brooke ou de Charles Bovary.

Aucun détective fictif - en fait, aucun personnage littéraire - n'a profité d'une « vie après la mort » aussi vigoureuse et variée que celle de Sherlock Holmes. Après tout, où sont les Fils du Père Brown, les Membres du Club Bellona, ou les Amis d'Hercule Poirot ? Depuis que le personnage est dans le domaine public, on écrit plus d'histoires sur Sherlock Holmes aujourd'hui qu'on n'a jamais écrit auparavant. Entre les mains de nouveaux auteurs, on a fait revenir Holmes d'outre-tombe (ou de sa retraite à l'apiculture au Sussex) pour se battre de nouveau avec le diabolique Professur Moriarty, pour rencontrer Oscar Wilde et la Reine Victoria et Sigmund Freud et le Dr Jekyll et M. Hyde, et pour résoudre - et, en au moins un cas, pour commettre - les crimes de Jack the Ripper à Whitechapel. Pour beaucoup, Jeremy Brett, qui a joué dans la série Granada, méticuleusement « d'époque », entre 1984 et 1994, est le Holmes définitif. Mais il y a des publics modernes qui n'ont peut-être jamais entendu parler de Conan Doyle, pour qui Holmes et l'aventurier Robert Downey Jr dans les films de Guy Ritchie, ou Benedict Cumberbatch dans la série brillamment modernisée Sherlock, ou Jonny Lee Miller dans la série CBS Elementary, avec sa compagne Dr Joan Watson.

 Holmes a profité de notre mode du roman néo-victorien. De nouveaux médias et Internet n'ont fait que lui donner un second souffle posthume. Les histoires sur Holmes ont été soumises aux 'mash-ups' [mélanges] où on colle le texte d'origine à une autre oeuvre ou le marie à un autre genre (comme Orgueil et Préjugés et des Zombies). Quelqu'un veut du Shreklock ? Holmes se prête naturellement au steampunk, des histoires qui ont lieu dans un univers parallèle à une époque victorienne alternative. Holmes et Watson sont des sujets privilégiés dans la fiction « slash », où on invente une relation homosexuelle entre des personnages fictifs, et de nouvelles histoires à leur sujet ont apparu en ligne, du pornographique au romantique et sucré. Dans les BD et les dessins animés, le pastiche, les produits dérivés et les livres académiques, l'esprit de Holmes est bien en vie.

Pourquoi est-ce que ce personnage continue à nous hanter ? Si nous étions véritablement au courant du secret de l'immortalité de Holmes, nous pourrons peut-être tous écrire des « best-sellers ». Conan Doyle lui-même ne pouvait pas tout à fait comprendre l'appel de son détective. Mais certains aspects de sa fascination unique semblent assez clairs. À l'aide de ses triomphes cérébraux et son excentricité pleine d'imagination, il offre un mélange séduisant de science et de poésie : la poésie humanise la science et la science semble arrimer la poésie dans la réalité. Qu'il soit armé d'une loupe ou d'un téléphone portable, nous reconnaissons en Holmes quelqu'un qui vit dans la modernité, dans notre monde. Finalement, Sherlock Holmes n'est pas plus un personnage au singulier que ne l'est Don Quixote. Il fait partie d'une alliance interdépendante. Dans la vie après la mort, ainsi que dans la vie, le spectre de Sherlock Holmes serait perdu sans celui du Docteur Watson.

 

Douglas Kerr est professeur d'anglais à l'université de Hong Kong. Il a écrit Conan Doyle: Writing, Profession and Practice [L'écriture, la profession et l'exercice].

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