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L'interprète grec
1 janvier 2014

Le génie de Sherlock, c’est son côté obscur

Titre : Le génie de Sherlock, c’est son côté obscur

Auteur : Lucy Worseley

Source : The Telegraph

 


Alors que le détective mythique Sherlock Holmes fait son retour sur nos écrans, notre affection pour lui ne peut pas cacher son côté obscur

 

En 1888, au sein du quartier à l’est de Londres, un tueur en série était en liberté. Le public avait lié une série de morts de femmes à Whitechapel à un seul personnage quasi-fictif connu sous le nom de ‘Jack l’éventreur’. Les journalistes étaient ravis de la chance de décrire un nouveau genre de méchant : mystérieux, sans mobile, omnipotent. Et les lecteurs étaient également prêts à rencontrer un nouveau genre de détective, dotés de pouvoirs égaux à ceux de « l’éventreur ». Le terrain était tout préparé pour Sherlock Holmes.

Il a apparu pour la première fois dans le roman d’Arthur Conan Doyle, Une étude en rouge, publié dans une anthologie de Noël en 1887. Une version reliée est sortie en 1888, l’année des meurtres de Whitechapel.

Bien sûr, Holmes est bel et bien en vie aujourd’hui, et revient sur BBC One ce soir en son incarnation la plus récente, sous la forme de Benedict Cumberbatch, à côté de Martin Freeman dans le rôle du Docteur Watson. C’est une modernisation d’une intelligence fantastique de l’un des plus grands personnages de la fiction.

Mais dans leur contexte historique, « Jack » et Sherlock représentent deux côtés de la même médaille. « L’éventreur » n’avait pas encore commis ses crimes quand Holmes a fait son début, mais alors que son caractère se développait au cours des nombreuses nouvelles qui ont suivi Une étude en rouge, Holmes est devenu presque l’image renversée de « l’éventreur ».

Ils sont potents et ingérables tous les deux, l’un quelqu’un de bien, l’autre quelqu’un de mal. Et dans un mélange bizarre de notre perception de « Jack » et de Sherlock, l’un des peu nombreux témoins à avoir vu le tueur en personne a raconté qu’il portait une chapka.

C’est à Holmes que les ministres, les hommes d’affaires et les familles royales de l’Europe s’adressent pour trouver une solution à leurs problèmes les plus épineux. En gros, cependant, les clients de Holmes ne sont pas les grands personnages. Ils sont des curés, des secrétaires, des ingénieurs, des propriétaires … les mêmes gens qui devaient rentrer chez eux seuls la nuit, qui lisaient les nouvelles de Conan Doyle dans des magazines et qui étaient poussés par ces nouvelles à se dire qu’il restait encore l’espoir d’attraper « Jack l’éventreur ».

Les compétences peu communes de Holmes ont une qualité très rassurante. Pourtant, en même temps - exactement comme dans la conception populaire de « l’éventreur » - Holmes est un marginal. Il manque de liens familiaux, il a tendance à tomber dans la déprime, il s’appuie sur les drogues jusqu’au point de risquer sa vie, il est si infailliblement dévoué au justice qu’il prend des décisions insensibles ou même avec des conséquences potentiellement dangereuses.

La toute première fois que nous rencontrons Holmes, dans Une étude en rouge, il s’amuse d’une façon digne de « l’éventreur » - il frappe un cadavre d’un baton. Mais ça s’explique par le fait que Sherlock Holmes se trouve parmi les rangs presque vides des médecins légistes de la fiction. Son amour pour la science et la technologie est un thème important dans la série actuelle de la BBC, qui est absolument fidèle à sa source. Dans sa première apparition littéraire, le Docteur Watson apprend qu’un ami d’un ami qui travaille à un hôpital cherche un colocataire. Le docteur Watson veut lui-même louer une chambre, alors il demande avec enthousiasme d’être présenté au chimiste inconnu.

Le Docteur Watson se rend à l’hôpital Saint Bartholomew, où Sherlock Holmes, toujours inconnu, passe la plupart de son temps. L’ami mutuel a averti Watson que Holmes est excentrique, « avec des habitudes curieuses ». On l’a vu, par exemple, pilonner un cadavre humain dans un effort d’établir jusqu’à quel point les bleus peuvent être créés après la mort.

Holmes est dévoilé pour nous dans son laboratoire, occupé de recherches sur la toxicologie et l’invention d’un nouvel épreuve pour l’identification du sang. Il serre la main de John Watson, et le salue avec ces paroles : « Vous avez été à l’Afghanistan, je vois. »

Le Docteur Watson en est abasourdi, et ce n’est que quelque temps plus tard, après une convenable accumulation de suspens, que nous apprenons que Holmes a « lu » la portée militaire de Watson, sa peau hâlée, son visage défait, et son bras blessé comme preuve que Watson a été dans la zone de guerre récente la plus notoire de l’armée britannique. (L’ex-soldat John Watson, dans son incarnation récente de la BBC, a également participé à ce qui semble parfois être la même guerre.) Dans les premières pages, alors, de la vie littéraire de Holmes, on nous présente non seulement le détective lui-même mais aussi la question d’appliquer la science et la technique de la déduction à la détection.

Arthur Conan Doyle s’est lui-même entraîné comme médecin, et c’est l’un de ses propres maîtres, le Docteur Bell, dont les méthodes ont inspiré celles de Holmes. Doyle a décrit Bell comme issu « d’une école de pensée médicale très sévère et cynique » et « doté de pouvoirs d’observation remarquables. Il était fier de sa capacité de regarder un patient et diagnostiquer non seulement sa maladie mais très souvent leur métier et leur domicile aussi. »

Le génie de Conan Doyle, c’était de mélanger l’approche scientifique et son propre amour des histoires. Au début il avait projeté de se plonger heureusement dans le métier de médecin. Attendant dans son cabinet les patients qui ne sont pas arrivés, il a commencé à écrire des nouvelles de plusieurs genres - horreur, policier, surnaturel - et les a envoyées aux magazines. Mais il n’a pas trouvé l’or avant d’essayer une nouvelle « où le personnage principal traite un crime comme le Docteur Bell traitait les maladies - et où la science prendrait la place des échecs ».

Au moyen de Sherlock Holmes, Conan Doyle aidera beaucoup à augmenter la popularité et la réputation de la médecine légiste, à un tel point que le grand médecin légiste français Alexandre Lacassagne, qui a établi l’un des premiers laboratoires judiciaires, ordonnait à ses nouvelles recrues de lire les nouvelles sur le grand détective. « Sa technique est fascinante, » en a-t-il conclu.

Mais l’aspect le plus frappant du caractère de Holmes - dans sa forme originale et actuelle - n’est pas son talent mais sa faiblesse.

Plusieurs critiques de la formule de la nouvelle policière trouvent que le secret de la popularité de Holmes est, en réalité, son amitié et son interaction avec Watson. Tout comme pour Frodo Baggins et Samwise Gamgee, ou Morse et Lewis*, le « Watson » du duo offre une intelligence non intellectuelle mais émotionnelle. Les Watson apporte de l’émotion et de l’humanité à leurs supérieurs cérébraux mais froids.

Dans l’une des dernières nouvelles sur Holmes, L’aventure du pied du diable, un paradigme presque parfait de la forme, publié dans l’anthologie Son dernier coup d’archet (1917), on voit et la chaleur de Watson et la froideur de Holmes : c’est la combinaison qui est irrésistible. Dans une scène énormément tendre, les deux amis quittent en chancelant une pièce que Holmes a, dans les intérêts de ses recherches, rempli de gaz empoisonné. Sherlock Holmes peut sembler à première vue indomitable, mais sans son ami plus humain il est incapable de naviguer la vie :

Je sautai de ma chaise, serrai Holmes dans mes bras, et ensemble nous titubâmes par la porte …

« Ma foi, Watson ! dit enfin Holmes d’une voix tremblante. Je vous dois et mes remerciements et mes excuses. C’était une expérience injustifiable même pour soi, et deux fois plus injustifiable pour un ami. Je suis sincèrement navré.

- Vous savez, répondis-je assez touché, puisque jamais avant je n’avais vu autant du coeur de Holmes, que c’est ma plus grande joie et mon plus grand privilège d vous aider. »


Se manifestant ainsi, vers la fin de leur longue amitié, des vérités longtemps inexprimées s’articulent enfin. C’est précisément pour ceci - non pas pour l’intellect, ni pour la virtuosité presque artificielle - que j’adore Sherlock Holmes.

 

* Frodo Baggins et Samwise Gamgee - les deux personnages principaux de la trilogue Le Seigneur des Anneaux, de J.R.R. Tolkien. 

Morse et Lewis - l'inspecteur Endeavour Morse (si, c'est son véritable prénom) et son sergent Robert Lewis, de la série Morse, qui s'inspire des romans de Colin Dexter.

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