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L'interprète grec
13 août 2012

Arrêtez de traiter Sherlock de sociopathe ! Avec ma gratitude, une psychologue.

Auteur : Maria Konnikova
Date : 8 août 2012
Source : CriminalElement.com


J'aimerais me débarrasser de quelque chose, qui m'agace depuis très, très longtemps. Sherlock Holmes n'est pas un sociopathe. Il n'est même pas un « sociopathe fonctionnel », comme Sherlock de la BBC, qui est autrement une excellente série, l'a dépeint (je reprends les paroles exactes [du personnage] de Benedict Cumberbatch). Voilà. Je l'ai dit.

Quand [le personnage de] Cumberbatch se décrit comme un sociopathe, il répond à une raillerie de la part d'un policier : Psychopathe ! « Il faut que vous vous renseigniez, insiste son Holmes. Il ne faut pas traiter quelqu'un de psychopathe alors qu'il est en réalité un sociopathe. »

J'adore la série. J'adore Cumberbatch. Vraiment. Et bien que je comprenne combien la scène soit efficace - que ce soit accrocheur, que ça rende Holmes intelligent et plein d'esprit - ça me gêne. D'abord, les psychopathes et les sociopathes sont la même chose. Il n'y a pas de différence. Du tout. La psychopathie, c'est le terme qu'on emploie dans la littérature clinique moderne, alors que la sociopathie est un terme inventé par G. E. Partridge en 1930 pour souligner les transgressions sociales causées par la maladie, un terme maintenant désuet. Il est dommage que les deux termes se soient confondus dans l'usage populaire, et encore plus dommage que Sherlock perpétue cette confusion. Et deuxièmement, aucun psychopathe - ni sociopathe, si vous (ou Holmes) voulez - ne reconnaitrait sa psychopathie.

Selon Robert Hare, qui a créé l'outil le plus souvent utilisé pour identifier la psychopathie, et qui est l'un des plus grands experts au monde, la psychopathie se caractérise par quatre aspects, ou groupes de traits, principaux : les relations interpersonnelles, les manières, le mode de vie, et l'asocialité. Dans le premier panneau on trouve les paroles en l'air et la superficialité, le style grandiloquent, les mensonges pathologiques, et la ruse manipulatrice ; dans le deuxième, les traits comme un manque de culpabilité et de remords, peu de profondeur, un manque d'empathie, et un refus de reconnaitre sa responsabilité ; dans le troisième, la tendance à s'ennuyer, un mode de vie parasite, et un manque de buts à long terme ainsi que l'impétuosité ; et dans le quatrième, une faible maîtrise de soi, des problèmes d'enfance, des violations de conditions de liberté, et la versatilité criminelle. Et il y a deux autres traits qui ne font partie d'aucune catégorie mais qui sont néanmoins importants : la promiscuité sexuelle et plusieurs relations à court terme.

Alors, à côté de cette description, comment est-ce que Holmes s'en sort ? Et pourquoi est-ce qu'on le traite de psychopathe, si souvent - et avec si peu de contention ? La réponse à la deuxième question, je dirais, concerne la froideur apparente du détective et sa nature calculatrice, ainsi que son grand intellect. Alors, avant d'aborder les autres problèmes, adressons-nous à ceux-ci.

D'abord, la froideur. En effet, ça semble aller bien avec « peu de profondeur, un manque d'empathie ». Mais la froideur de Holmes n'est pas celle d'un psychopathe. Il y a plusieurs différences fondamentales. D'abord, le psychopathe est froid parce qu'il est incapable de faire autrement - d'où le manque de culpabilité et de remords. Un psychopathe ne ressent pas les émotions comme nous les ressentons. Ce qui nous excite, nous trouble, nous rend heureux, ne fait presque rien pour lui. En fait, on utilise souvent les psychopathes dans les études de l'émotion pour cette raison même. On peut faire des comparaisons entre leurs relations et celles de ceux qui ne sont pas psychopathes (d'un point de vue du comportement extérieur et des procès mentaux) pour mieux comprendre pourquoi les émotions nous affectent - et pourquoi le sociopathe est ainsi.

La froideur de Holmes n'a rien de tel. Ce n'est pas qu'il ne ressente pas d'émotion. C'est qu'il s'est entraîné à ne pas laisser les émotions affecter son jugement - quelque chose qu'il répète souvent à Watson. Dans Le signe des quatre, rappelez-vous la réaction de Holmes devant Mary Morstan : « Je crois qu'elle est l'une des jeunes femmes les plus charmantes que j'aie jamais rencontrées. » Il la trouve charmante, alors. Mais ce n'est pas tout ce qu'il dit. « Mais l'amour est émotif, et tout ce qui est émotif s'oppose à cette vraie raison froide que je place en-dessus de tout, » poursuit Holmes. Si Sherlock était un psychopathe, aucun de ces propos n'aurait de sens. Non seulement il serait incapable de reconnaitre le charme de Mary et son effet potentiel sur les émotions, mais aussi il serait incapable de décrire cette distinction entre la raison froide et l'émotion chaude. La froideur de Holmes est acquise. Elle est délibérée. C'est une auto-correction constante (il remarque que Mary est charmante, puis repousse la pensée ; il ne manque pas d'être affecté au début ; ce n'est qu'après l'avoir reconnu qu'il rejète ce qu'il ressent).

D'ailleurs, la froideur de Holmes n'a pas les éléments liés, c'est-à-dire le manque d'empathie et de remords, et le refus de reconnaitre sa responsabilité. Quant à l'empathie, il ne faut pas chercher plus loin que sa réaction dans Les trois Garrideb quand Watson est blessé (« Vous n'êtes pas blessé, Watson ? Pour l'amour de Dieu, dites-moi que vous n'êtes pas blessé ! »), ou son désir de laisser certains criminels en liberté, s'ils sont, pour la plupart, sans blâme dans ses yeux. Quant au remords, considérez sa culpabilité quand il entraîne Watson dans le danger quand la situation devient trop délicate (et ses excuses quand il le choque autant qu'il s'évanouit, dans La maison vide. Lisez bien : « Je vous dois mille excuses. Je n'avais aucune idée que vous seriez si ému. ») Quant à la responsabilité, pensez aux maintes fois que Holmes avoue ses erreurs quand il les fait, comme, par exemple, dans La disparition de Lady Frances Carfax, où il dit à Watson : « Si vous ajoutez cette enquête à vos annales, mon cher Watson, ce ne peut qu'être en tant qu'exemple de l'éclipse temporaire à laquelle même l'esprit le mieux équilibré est vulnérable. »

Pas de superficialité alors. Et l'intelligence, l'autre aspect important ? C'est facile. Bref, l'intelligence n'a rien à voir avec la sociopathie. C'est un mythe populaire, ça aussi. Pour reprendre les paroles de Hare : « Certains psychopathes sont intelligents, d'autres non. » Et de nombreuses études ont montré que la corrélation entre les mesures de l'intelligence les plus communes et les degrés de psychopathie est, au mieux, très petite. Voilà.

Et qu'est-ce qu'on devrait penser des autres qualités du psychopathe ? Dans une optique interpersonnelle, nous pouvons aussitôt rejeter les mensonges pathologiques. Quant aux paroles en l'air et superficielles, nous ne les associons pas à Holmes, non plus. Holmes est peut-être plein d'esprit, et souvent sarcastique, mais il n'est ni superficiel ni insincère. Et la ruse manipulatrice ? Holmes est intelligent, certes, mais s'il trompe quelqu'un, ce n'est pas pour s'amuser ou pour profiter du malheur des autres. Ce serait, en effet, le comportement d'un psychopathe.

En ce qui concerne le mode de vie, il devient clair que Holmes s'éloigne encore plus de la description du psychopathe. Parmi les qualités détaillées, la seule qui puisse s'appliquer, c'est la tendance à s'ennuyer. Nous savons que quand Holmes n'a pas d'enquête, il est probable qu'il cherche un stimulus dans d'autres passe-temps un peu moins sains. Mais tout seul, ça ne suffit pas pour en faire un psychopathe. (Il faut gagner au moins 30 points sur l'échelle de Hare pour être éligible.)

Car ce serait en effet la seule qualité de la liste. On a déjà abordé la superficialité, et quant aux deux dernières, elles sont si éloignées du personnage de Holmes qu'elles ne méritent pas d'être mentionnées. La violation flagrante des règles de la société, comme la faible maîtrise de soi, la délinquance, et la violation des conditions de liberté ? On ne sait pas beaucoup à propos de l'enfance de Holmes, c'est vrai, mais adulte, il n'a aucune impulsion ingouvernable de ce genre. On peut l'accuser d'utiliser un arme à l'intérieur, mais presque rien de plus. Et la promiscuité sexuelle et les nombreuses relations à court terme ? Cette honneur s'accorde plutôt au bon Dr. Watson, qui se déclare lui-même le conquérant de femmes de plusieurs nations et dans trois continents différents.

Mais la preuve la plus forte est simple. Sherlock Holmes n'est pas une machine froide et calculatrice qui n'existe que pour lui-même. Il éprouve de l'affection pour Watson. Pour Mme Hudson. Il a sûrement une conscience (et comme dit Hare, s'il n'y a rien d'autre, le « signe caractéristique [d'un sociopathe], c'est un manque bouleversant de conscience »). Autrement dit, Holmes ressent des émotions - et des liens - comme tout le monde. Là où il est plus doué, c'est dans la maîtrise de ces émotions - et dans la mesure où il ne les montre que dans certaines situations très précises.

Alors, laissez-moi le répéter, pour me décharger ma bile : Sherlock Holmes n'est point un sociopathe. Il ne s'y approche même pas.

Voilà. Je me sens mieux maintenant.

Maria Konnikova est une psychologue et écrivaine qui habite New York City. Son premier livre, « Mastermind : comment penser comme Sherlock Holmes », sera publié par Viking/Penguin en janvier 2013. Elle est en train de terminer l'écriture de son premier roman.

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Commentaires
G
Sherlock est trop beau ♥ Je crack, je le préfère en rôle de sherlock que l'acteur ^^ Je trouverais un détective comme lui je serais ravi ^^ Cela ferait Lila Holmes mdr
M
wtf ?? Les psychopathes se distinguent des sociopathes par leur nature timide, réservée etc (entre autres !). Tandis que les sociopathes se servent de leur charisme pour manipuler les foules et ainsi monter en grade/obtenir la reconnaissance absolue (exemple : Light yagami), les psychopathes n'ont souvent aucun but à long terme. Ils se servent de la manipulation pour "exister" aux yeux des autres, mais préfèrent souvent jouer les marionnettistes que gouverner. Pour eux, la vie est une partie d'échec, et ils se doivent de gagner (mais pas pour plaire, seulement pour se prouver à eux-même qu'ils valent quelquechose). Les psychopathes ont souvent été humiliés etc et essayent de prouver qu'eux aussi, ils peuvent être supérieurs. Ils sont généralement anti-sociaux, à l'inverse du sociopathe. <br /> <br /> <br /> <br /> Pour votre gouverne, Sherlock est véritablement un psychopathe.<br /> <br /> Merci !!!
L
Selon Robert Hare, la différence entre psychopathie et sociopathie peut s'expliquer par l'origine du trouble. La sociopathie s'explique par l'environnement social alors que la psychopathie s'explique par un mélange de facteurs psychologiques, biologiques, génétiques et environnementaux. Selon David Lykken, les psychopathes naissent avec des caractéristiques psychologiques particulières comme l'impulsivité ou l'absence de peur, qui les conduisent à chercher le risque et les rendent incapables d'intégrer les normes sociales. Par opposition, les sociopathes ont un tempérament plus réglé; leur trouble de la personnalité tient davantage à un environnement social défavorable (parents absents, proches délinquants, pauvreté, intelligence extrêmement faible ou au contraire développée).<br /> <br /> L'avis d'une psychologue ne veut pas dire que c'est un avis juste. C'est plutôt un seul point de vu. La seule personne à pouvoir répondre ce qu'est vraiment Sherlock Holmes est Conan Doyle. Donc on ne saura jamais.
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